La clause Molière, c’est une longue histoire qui a commencé il y a environ un an. Certaines collectivités avaient émis la volonté de favoriser l’emploi local dans leurs marchés publics. Pour ce faire, elles avaient décidé d’imposer l’usage de la langue française sur les chantiers publics, afin de limiter le recours au travail détaché. Si certaines collectivités ont clairement affiché, à travers l’adoption de cette mesure, une volonté politique, d’autres soutiennent qu’il s’agit seulement d’un encadrement supplémentaire pour lutter contre le travail détaché illégal.
Une note interministérielle a été adressée aux préfets le 27 avril 2017, leur ordonnant de considérer comme illégale toute clause imposant l’usage du français dans les marchés publics. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les préfets des régions Pays de la Loire et Auvergne-Rhône-Alpes.
Le TA dit non à la clause Molière
Le 13 décembre 2017, le tribunal administratif (TA) de Lyon a annulé la délibération du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes. Cette dernière avait pour but d’instaurer, dans tous les marchés de travaux de la région, une version très renforcée de la clause Molière. En effet, le dispositif ne se limitait pas à imposer la langue française sur les chantiers mais prévoyait également des sanctions financières, ou encore l’obligation pour le titulaire du marché de fournir une attestation de non-recours au travail détaché. Suite au déféré du préfet, le TA a rappelé qu’il n’était pas possible de restreindre le recours au travail détaché. Cela contreviendrait en effet à l’article L. 1262-1 du code du travail qui autorise un employeur à détacher temporairement des salariés étrangers sur le territoire national. Les juges ont également précisé que le code du travail prévoyait déjà des mesures suffisantes pour lutter contre le travail détaché illégal, d’ailleurs renforcées par un décret du 5 mai 2017. Jugé discriminatoire et considéré comme un détournement de pouvoir, le TA a annulé le dispositif mis en place par la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Mais le Conseil d’Etat dit oui à la clause d’interprétariat
Quelques jours avant ce jugement, la haute juridiction administrative s’était quant à elle prononcée sur deux clauses d’un marché de travaux de la région des Pays de la Loire. Le préfet avait cette fois demandé l’annulation de la procédure du marché. Toutefois, le TA de Nantes comme le Conseil d’Etat ont rejeté cette requête. Pourtant, lors de l’audience publique au Palais Royal, Gilles Pellissier, rapporteur public, avait présenté des conclusions sans équivoque sur l’illégalité de ces clauses. Alors que les rapporteurs publics sont généralement très largement suivis, le Conseil d’Etat a ici considéré que les clauses en question n’étaient pas des clauses Molière mais des clauses d’interprétariat. En effet, ces clauses n’imposaient pas directement la maîtrise du français par tout le personnel intervenant sur le chantier mais uniquement le fait que les personnels non-francophones soient quasiment toujours accompagnés d’un interprète afin de pouvoir comprendre les instructions et leurs droits sociaux. Le rapporteur public avait considéré que le code du travail suffisait à assurer la sécurité et l’information des travailleurs non-francophones. Selon lui, les clauses en litige étaient donc discriminatoires, notamment au regard des coûts qu’engendrerait la rétribution d’interprètes pour les entreprises employant des salariés détachés. Toutefois, sans s’étendre sur son raisonnement juridique, le Conseil d’Etat a adopté la position contraire. En instaurant une nuance entre clause Molière et clause d’interprétariat, ou en faisant de la clause d’interprétariat une clause Molière a minima, le Conseil d’Etat n’a pas vraiment clarifié la situation. D'autres épisodes pourraient donc fort suivre en 2018.
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