Au Congrès des maires de l’Association des maires de France (AMF), le 23 novembre 2022, le forum dédié à la petite enfance a été présenté comme la réunion de lancement de la concertation sur le service public de la petite enfance (SPPE). Annoncée lors du Comité interministériel à l’enfance (voir notre article), cette concertation démarre par une "phase nationale" d’échange avec les administrations, "l’ensemble des associations d’élus", les présidents des caisses d’allocations familiales (CAF) et l’Union nationale des associations familiales (Unaf), a détaillé Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, lors du forum. "Conclue le 6 décembre prochain par un Conseil national de la refondation", cette étape nationale sera suivie d’une phase territoriale animée par Elisabeth Laithier, présidente du comité de filière Petite enfance et maire-adjointe honoraire de Nancy. L’"atterrissage" de la concertation est annoncé pour le printemps 2023, au moment de la reconduction de la convention d’objectifs et de gestion (COG) entre l’État et la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).
"L’objectif est à la fois d’assurer un service public qui propose un accueil sécurisé et de qualité pour l’ensemble des enfants, un accueil qui soit accessible pour les familles et une augmentation du nombre de places", cadre le ministre. Sur l’accessibilité des différentes solutions d’accueil – individuelles ou collectives -, ce dernier mentionne l’engagement, dans le projet de loi de finances pour la sécurité sociale pour 2023, de la réforme du complément de libre choix du mode de garde (CMG) destinée à aligner les restes à charge des familles (voir notre article).
Pas d’"obligation contraignante en mode droit opposable"
Les communes et intercommunalités sont-elles prêtes à relever un tel défi ? "Pourquoi pas", mais "à condition d’une compensation intégrale" des coûts de la réforme et des places créées, insiste Annick Bouquet, adjointe au maire de Versailles et co-présidente du groupe de travail petite enfance de l’Association des maires de France (AMF). L’élue rappelle que le financement d’une place d’accueil repose actuellement en moyenne à 40% sur la commune, 40% sur la CAF et 20% sur les familles. Maire d’Amfreville et deuxième co-président du groupe petite enfance de l’AMF, Xavier Madelaine souligne aussi la nécessaire prise en compte des contraintes du foncier, de la pénurie de professionnels et de la volonté des élus de conserver de la souplesse, en particulier concernant ceux qui ont fortement investi cette compétence aujourd’hui facultative.
Interpelé par les élus sur les difficultés de mise en œuvre d’un éventuel "droit opposable", Jean-Christophe Combe a tenu à "rassurer tout le monde" en écartant le principe d’une telle "obligation contraignante en mode droit opposable" - le gouvernement ne tenant visiblement pas à prendre le risque de reproduire l’expérience du Droit au logement opposable (Dalo). "On va construire ensemble, c’est l’objectif de la concertation, les voies et moyens pour atteindre ces objectifs", en s’appuyant sur l’existant, poursuit-il. Toutefois, force est de constater selon lui que les moyens et l’organisation actuels "ne suffisent pas aujourd’hui à augmenter le nombre de places d’accueil dans notre pays".
"Un réseau d'assistantes maternelles en chute libre" : des élus inquiets
Ils ne suffisent même pas à maintenir le nombre de places déjà ouvertes. En effet, avant même d’envisager une montée en puissance, c’est bien la préservation du service dans ses dimensions actuelles qui inquiète les maires et l’ensemble des acteurs de la petite enfance. De l’ordre de 10.000 professionnels manquent à l’appel aujourd’hui dans les crèches collectives, selon l’étude de la Cnaf qui a été présentée à la réunion du comité de filière du 11 juillet 2022 (voir notre encadré ci-dessous). Par ailleurs, près de la moitié des assistantes maternelles actuellement en poste partiront à la retraite d’ici 2030, selon l’étude prospective 2018-2020 des branches professionnelles des assistants maternels et des salariés du particulier employeur.
Lors du forum, plusieurs élus ont témoigné de leur "grande inquiétude" face à ce mouvement, observé tant à Versailles ou Besançon qu’à Saint-Apollinaire-de-Rias, petit village d’Ardèche où le "réseau d'assistantes maternelles est en chute libre". Dans une commune de 1.500 habitants proche de Limoges, il ne restera que trois assistantes maternelles en 2023 alors qu’elles étaient huit à exercer en 2020. Considérant que ses marges de manœuvre sont réduites, pointant notamment un manque de visibilité financière pour investir dans une crèche, la maire de cette commune de Haute-Vienne demande des mesures d’urgence – "quitte, peut-être, à dégrader les critères" - pour faciliter l’activité de nouvelles assistantes maternelles.
Dans le cadre du comité de filière, il a été décidé qu’une campagne de promotion des métiers d’accueil du jeune enfant serait menée mais elle ne sera lancée qu’au printemps 2023. Un "observatoire de la qualité de vie au travail" va aussi être créé avec l’appui de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). L’arrêté du 29 juillet 2022 a également clarifié le cadre autorisant, à titre dérogatoire, l’exercice d’autres professionnels – sur condition de diplômes dans d’autres domaines sociaux, éducatifs ou médico-sociaux ou d’expérience – dans les modes d’accueil du jeune enfant.
Un dialogue nécessaire pour avancer dans le "maquis" de la formation
Si ces passerelles et dérogations peuvent faciliter des recrutements dans le contexte d’urgence, le besoin de formation reste considérable, d’autant qu’il concerne plus largement tous les "métiers de l’humain". En comparaison avec les 350.000 personnes à former dans le secteur du grand âge, "10.000 [professionnels manquants dans le secteur de la petite enfance], ça me rassure presque", réagit Françoise Jeanson, vice-présidente en charge de la santé à la région Nouvelle-Aquitaine et représentant Régions de France. Le gouvernement a pourtant affiché un objectif de 200.000 créations de places d’accueil supplémentaires pour mettre en œuvre le SPPE, ce qui nécessitera de former bien davantage d’auxiliaires de puériculture et d’éducateurs de jeunes enfants.
Actuellement, les régions forment entre 500 et 1.500 professionnels de la petite enfance par an, selon l’élue régionale. Cette dernière se déclare confiante sur les possibilités de montée en charge, tout en insistant sur le besoin de "dialogue" entre les différents acteurs de la formation – "c’est un maquis", pointe-t-elle, rappelant par exemple que ce sont les départements qui sont chargés de la formation des assistantes maternelles. Le ministre des Solidarités dit avoir saisi à la fois Régions de France et ses collègues ministres de l’Éducation nationale et du Travail, pour avancer sur ces enjeux de formation, notamment dans le cadre de France Travail.
Valider la réforme avant la fin du mandat municipal
Pour Elisabeth Laithier, il faudra "quatre à cinq ans" pour mener à bien cette réforme du SPPE. "C’est un chantier énorme", juge-t-elle. "La petite enfance est aujourd’hui tellement éclatée, au niveau des ministères, des gestionnaires, des types d’accueil… On ne va pas du jour au lendemain tout gommer", ajoute la rapporteure générale de la concertation. Avant d’entamer son tour de France des acteurs de la petite enfance, l’ancienne élue nancéenne dit n’avoir aucune "idée préconçue" sauf une : "on ne peut déléguer [ce service public de la petite enfance] qu’aux communes ou intercommunalité", étant donné la nécessité de "bien connaître son territoire" et de "faire dans la dentelle".
"On prend acte, on est prêt à y aller", assure Xavier Madelaine. Il ajoute une condition de calendrier, alors que les maires seront déjà à mi-mandat au printemps 2023 : "il faut réduire les délais pour que cette réforme soit validée, dans ces textes, avant la fin du mandat municipal". Soit d’ici 2026.
Restituée le 11 juillet 2022 devant les membres du comité de filière Petite enfance, une enquête de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) a été menée auprès d’un peu moins de 16.000 crèches collectives offrant environ 412.000 places d’accueil. Il en ressort que près de 50% de ces crèches déclarent un manque de personnel auprès des enfants. Environ 9.000 postes "sont déclarés durablement vacants ou non remplacés à la date du 1er avril 2022, soit entre 6,5% et 8,6% de l’effectif total de professionnel auprès d’enfants". Par ailleurs, plus de 1.600 postes de direction "sont déclarés découverts", ce qui concerne donc une crèche interrogée sur dix. Ainsi plus de 9.500 places "sont durablement fermées ou inoccupées à cause d’une difficulté de recrutement, soit 2,3% du total des places recensées dans le cadre de cette enquête". "La part des places fermées étant significativement moins élevée que la proportion de postes vacants, un certain nombre d’Eaje fonctionnent avec des effectifs en tension", souligne la Cnaf. Les difficultés de recrutement varient évidemment fortement d’un département à l’autre, selon un facteur de 1 à 9. Les départements les plus exposés sont ceux d’Ile-de-France (41% du total des postes vacants), mais aussi le Rhône et la Guyane C. Megglé |
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