Soumis à consultation ces deux derniers mois, le projet de contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau 2021-2030 recevra-t-il un accueil aussi froid que son devancier, adopté en catimini en avril 2017, quelques jours avant l’élection présidentielle (voir notre article d'avril 2017) ? Lors d’une conférence de presse le 7 janvier dernier, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) a dénoncé un texte qui n’est "pas à la hauteur des enjeux", même si certains éléments trouvent grâce à ses yeux. Parmi eux, l’objectif d’"améliorer, au meilleur coût, la qualité de service" en général, et d’augmenter le "trafic (en trains kilomètres) de 5% entre 2022 et 2026", en particulier. Jean Lenoir, vice-président de la Fnaut et animateur de son pôle ferroviaire, salue ici le fait que l’État attende "un réseau davantage circulé", "au contraire de la SNCF qui vise des trains à faible fréquence et à grande capacité. Or les voyageurs réclament précisément le contraire !", s’indigne-t-il.
"Logique budgétaire et non d’investissement"
Pour le reste, le mécontentement prédomine. Les moyens accordés au deuxième objectif – "poursuivre dans la durée l’effort de rénovation et de modernisation du réseau" – sont en effet jugés "nettement insuffisants", non sans faire ainsi écho au récent rapport de la Cour des comptes (voir notre article du 23 novembre 2021). "2,9 milliards d’euros par en moyenne sur la période, cela permettra seulement d’arrêter le vieillissement du réseau principal, soit les lignes UIC 2 à 6. Le reste du réseau continuera de vieillir et l’ensemble ne sera pas modernisé. La réduction du nombre de postes d’aiguillages, la simplification du réseau ne sont pas financées d’un seul euro. Rien n’est prévu sur la modernisation des commandes et le télécontrôle", s’alarme Jean Lenoir, qui dénonce "une approche budgétaire et non d’investissement".
Le contrat stipule effectivement que "conformément aux engagements pris dans le cadre du Pacte ferroviaire, les ressources financières de SNCF Réseau continueront d’être concentrées sur le réseau structurant". Il précise que les "investissements de régénération" seront ciblés sur ce dernier, soit les lignes à grande vitesse, le réseau ferré en Île-de-France et l’ensemble des lignes UIC 0 à 6, en y ajoutant à partir du 1er janvier 2024 les quatorze lignes de dessertes fines du territoire reclassées dans ce réseau*. S’agissant de la modernisation, le contrat relève que "le renouvellement des composants ne se fait généralement pas à l’identique et permet […] de mettre en œuvre de meilleures technologies". Et stipule qu’un "travail important sera poursuivi ou engagé pour moderniser l’exploitation et l’outil industriel", mentionnant "deux grands programmes" : celui de commande centralisée du réseau d’une part, en cours de déploiement, et la réduction du nombre d’appareils de voie d’autre part.
Faire payer la route pour rétablir l’égalité entre les modes de transport
Le troisième objectif – "Assurer l’équilibre des cash flow de SNCF Réseau à compter de 2024 et la maîtrise de la dette à compte de 2026" – fait également bondir l’association. "On demande à SNCF Réseau de financer la totalité des dépenses d’exploitation par les recettes des péages. C’est une aberration complète. L’augmentation des tarifs va à l’encontre de l’augmentation du trafic. D’autant qu’en face, l’accès à la route est gratuit, à l’exception des autoroutes concédées. Il n’y a pas mieux pour organiser le transfert du rail vers la route", avertit Jean Lenoir. Aux termes du contrat, l’État demande précisément à SNCF Réseau de "chercher, lorsque cela est pertinent, une plus grande contribution de la tarification à la couverture du coût complet" que l’entreprise supporte. Dans le détail, le texte acte une évolution prévisionnelle des redevances "en ligne avec l’évolution générale des prix" pour le transport de voyageur non conventionné et le fret, et au plus à + 3,6% pour le transport de voyageur conventionné.
Michel Quidort, président de la Fédération européenne des voyageurs, souligne que cette position est le "strict contrepied" de celle promue par la Commission européenne, qui vient encore de plaider dans son plan d’action pour développer le transport de voyageurs longue distance (voir notre article du 16 décembre 2021), "pour une réduction du coût d’accès au ferroviaire". Il se réjouit par ailleurs du fait que la Commission "ait remis dans les tuyaux la question de l’eurovignette", alors qu’"en Europe, 100% du réseau ferroviaire est soumis à péage, et seulement 1% du réseau routier ". Il précise que dans une lettre adressée au président de la République, la Fnaut a d’ailleurs invité ce dernier à "laisser ce dossier en haut de la pile" du programme de la présidence française de l’UE. "Il faut rétablir l’écotaxe, pour rétablir l’équité entre les modes de transport", préconise Jean Lenoir.
Prochaines étapes
Parmi les multiples dispositions du contrat, relevons encore que SNCF Réseau est invité à une "optimisation" de ses processus et à "une réduction des coûts des fonctions supports et des frais de siège", jugées naguère insuffisantes par la Cour des comptes (voir notre article de décembre 2018). L’entreprise est également priée de réduire les émissions de gaz à effet de serre (d’ici 2030, -37% dans le domaine immobilier et -21% dans les transports) et à "intensifier le poids du secteur carbone" dans ses décisions, à prévenir et réduire le bruit ferroviaire, à intégrer l’éco-conception ou encore à s’engager dans une démarche d’économie circulaire avec ses fournisseurs.
L’Autorité de régulation des transports doit encore se prononcer sur le projet. L’État et SNCF Réseau pourront ensuite le modifier pour tenir compte des observations émises, ou le laisser en l’état. Ils devront dans tous les cas le transmettre au Parlement – disposition qui n’avait pas été respectée en 2017 – avant de le signer.
* Soit les lignes : Lison - Cherbourg ; Rennes - Saint-Malo ; L’Arbresle - Le Coteau ; Sathonay - Bourg-en-Bresse ; Crépy-en-Valois - Laon ; Blainville - Remiremont ; Saint-Dié - Raon-l’Étape ; Caen - Alençon - Le Mans - Tours ; La Roche-sur-Yon - Bordeaux ; Coutras - Périgueux - Bussière-Galant ; Bourges - Montluçon ; Nevers - Montchanin ; Foix - Latour-de-Carol ; Brive - Turenne - Rodez.
L’Association française du rail pas non plus convaincue par le contratL’Association française du rail – qui regroupe des entreprises du secteur ferroviaire et vise à favoriser l’accès des nouveaux entrants sur le marché ferroviaire français – a elle aussi publié le 7 janvier son avis sur le projet de contrat de performance. Elle y dénonce "un projet comportant d’importantes lacunes à combler pour être cohérent avec la politique du gouvernement et l’agenda européen en faveur du développement du mode ferroviaire". Elle estime ainsi que le projet "doit impérativement être complété pour tenir compte des textes les plus récents comme la loi Climat et résilience d’août 2021, la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire de septembre 2021 (voir notre article du 13 septembre 2021) ou encore le Pacte signé en septembre entre l’État, SNCF Réseau, l’Alliance 4F et l’AUTF". En l’état, elle déplore notamment "un effort de rénovation du réseau structurant insuffisant" et "une modernisation de l’infrastructure et de l’outil de production nécessaire mais non programmée ni financée". Elle relève entre autres que "le contrat entérine l’abandon aux régions de la responsabilité des lignes de desserte fine, avec l’aide de l’État, l’intervention de [SNCF] Réseau étant conditionnée ‘au retour à l’équilibre (financier) de [SNCF] Réseau’. Compte tenu de l’importance des besoins de régénération sur ces lignes, il n’est pas certain que les dispositions du contrat suffisent à les maintenir. La question des moyens dont disposeront les différents acteurs et les orientations pour leur maintien ne sont pas encore clairement définies". |
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