La Cour européenne des droits de l'Homme vient de condamner la Suisse à dédommager le préjudice moral d'une ressortissante roumaine, sanctionnée à neuf reprises, entre juillet 2011 et janvier 2013, pour mendicité sur la voie publique et condamnée en dernier lieu à une peine d'amende de 500 francs suisses et à une peine (exécutée) de détention provisoire de 5 jours, pour défaut de paiement de l'amende.
La Cour relève que "la requérante, qui est une personne extrêmement vulnérable, a été punie pour ses actes dans une situation où elle n'avait très vraisemblablement pas d'autres moyens de subsistance et, dès lors, pas d'autres choix que la mendicité pour survivre". Elle juge en conséquence que la mesure atteint la dignité humaine de la requérante et l'essence même des droits protégés par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Au préalable, la Cour avait constaté que l'ingérence ainsi constituée dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante reposait bien sur une base légale et poursuivait bien un but légitime : ici, à la fois "la défense de l'ordre" (la Cour n'excluant "pas que certaines formes de mendicité, en particulier ses formes agressives, puissent déranger les passants, les résidents et les propriétaires des commerces") et "la protection des droits d'autrui" (considérant "valable l'argument tiré de la lutte contre le phénomène de l'exploitation des personnes, en particulier des enfants").
Mais elle considère que la sanction infligée ne constitue une mesure proportionnée "ni au but de la lutte contre la criminalité organisée, ni à celui visant la protection des droits des passants, résidents et propriétaires des commerces", refusant par ailleurs de "souscrire à l'argument […] selon lequel des mesures moins restrictives n'auraient pas permis d'atteindre le même résultat ou un résultat comparable". Et d'invoquer ici le fait "que la majorité des États membres du Conseil de l'Europe prévoit des restrictions plus nuancées que l'interdiction générale" de la mendicité (interdite à Genève depuis plus de soixante ans).
Le nécessaire caractère proportionné de l'interdiction ne surprendra pas les maires français, habitués de la jurisprudence du Conseil d'État (voir notre article du 29 juin 2018). La prise en compte du fait que la requérante "ne disposait d'aucun autre moyen d'existence que la mendicité" n'est pas non plus inconnue des juridictions françaises (voir par exemple CE, 1er avr. 2014, n° 365064), même si le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a jugé par ailleurs, le 28 août 2018, qu'un requérant ne pouvait "utilement se prévaloir, sur le fondement du principe de fraternité, d'une quelconque liberté fondamentale de mendier".
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