Acceptée à reculons par la France en 2011, négociée laborieusement à Bruxelles entre 2012 et 2013, puis étrillée à l'Assemblée nationale début 2014, la directive Concessions s'apprête à être transposée d'ici avril 2016 dans des conditions plus que délicates.
Signe qui ne trompe pas, le gouvernement hésite à confier le sujet aux parlementaires, au risque de revenir sur la promesse initiale faite par Pierre Moscovici en mars. A l'époque, l'ex-ministre de l'Economie estimait que la transposition des règles sur l'harmonisation des contrats de service public en Europe se ferait par un projet de loi présenté au plus tard début 2015.
Le dossier échoit désormais à Emmanuel Macron, qui devrait rencontrer fin octobre ou début novembre le député PS Gilles Savary, auteur d'un rapport au vitriol sur la directive Concessions.
Marche arrière ?
Le gouvernement aura-t-il finalement recours à une ordonnance pour contourner les chambres du Parlement sur ce sujet redoutablement technique et économiquement lourd d'enjeux ? La question sera tranchée d'ici la fin de l'année, a fait savoir Jean Maïa, directeur des affaires juridiques de Bercy, lors d'un débat organisé le 9 octobre par la chaire des partenariats public privé de l'IAE de Paris.
Volonté d'aller vite, de ne pas alourdir l'agenda de la réforme territoriale par un énième texte lié aux collectivités… plusieurs arguments abondent dans le sens d'un recours à l'ordonnance. Mais, par-dessus tout, le gouvernement "n'a pas envie de soumettre cela aux députés. Ils sont une petite dizaine à être capables de s'en emparer. Et l'on ne sait jamais ce qui peut ressortir du débat", indique une source proche du dossier.
Pour le député Gilles Savary, Paris s'est fait engloutir par le lobbying des entreprises publiques allemandes. Il faut que la France ait une "transposition d'assez mauvaise grâce", avait-il lancé en février.
C'est tout l'enjeu des mois à venir. Prise dans un tourbillon d'exceptions et de dérogations pour satisfaire les demandes des Etats, la directive Concessions est devenue illisible. C'est un "texte à trous", reconnaît-on à Bercy. L'ampleur du "détricotage" est telle qu'elle ne couvrirait que la restauration scolaire et le chauffage urbain, résume l'avocat et professeur de droit Laurent Richer.
Frilosité de Bercy
Comble du paradoxe, cette directive au champ d'application restreint (contrats supérieurs à 5 millions d'euros) pourrait, en France, avoir un impact sur des secteurs de poids qu'elle n'est pas censée couvrir, comme les transports ou l'eau. Des domaines régis par la loi Sapin, qui doit justement évoluer pour prendre en compte les nouvelles règles européennes. Tout dépendra de l'approche retenue par le gouvernement.
Introduire des règles différentes en fonction des secteurs introduirait une complexité qui tranche avec la logique actuelle de "simplification". Inversement, appliquer les contraintes ou incohérences européennes à des secteurs supposés en être exemptés (durée de cinq ans des contrats jugée trop courte, distorsion de concurrence généré par la possibilité offerte aux opérateurs publics de concurrencer le secteur privé…), risque de faire bondir les entreprises.
Très frileux à l'idée de s'écarter de la directive européenne, les services juridiques de Bercy semblent tentés de coller le plus possible au texte, quitte à en reproduire les dispositions les plus controversées, alors qu'elles n'auraient pas de caractère obligatoire.
Ce serait le cas des entreprises à capitaux publics (les SPL en France). Celles-ci pourraient à la fois postuler à des appels d'offres, dans la limite de 20% de leur chiffre d'affaires, tout en décrochant des contrats auprès d'une collectivité, sans avoir été mises en concurrence. Introduite pour donner satisfaction aux Stadtwerke allemandes, cette option hérisse les opérateurs privés français. La Fédération des entreprises publiques locales ne tient pas non plus à la dupliquer dans l'Hexagone. L'alternative consisterait, pour la France, à maintenir le système actuel : une entreprise publique locale doit cantonner son activité à la collectivité à laquelle elle est rattachée.
L'un des enjeux clés consistera aussi à surveiller les choix des pays voisins, tant le mode de transposition peut avoir un impact sur des pans entiers de l'économie. "Nous essayons de nous tenir alertés", indique Jean Maïa. C'est en fait l'Institut de la gestion déléguée, rassemblant des entreprises et des collectivités, qui mène ce travail de veille. Une note sera publiée cette semaine.
"Plus il y a d'exceptions, plus c'est compliqué, et le droit allemand va transposer les exceptions dans ses moindres détails", raille le professeur Richer.
A l'heure où le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker compte aborder son mandat de président de la Commission européenne sous un angle neuf, en vue de conjurer les législations excessives ou mal ficelées, la directive Concessions offre un exemple éloquent des pièges à éviter.
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