Que diable allait-il faire dans cette galère ? Telle est en substance la question que les députés ont posé à Patrice Vergriete ce 11 janvier, lors de son audition dans le cadre de sa nomination – validée dans la foulée par les deux chambres (55 avis favorables, 11 défavorables, 12 bulletins blancs) – à la tête de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). "Pourquoi être candidat à un poste qui a si peu de pouvoir ?", l’interroge ainsi la députée Christelle Petex-Levet (LR, Haute-Savoie), en soulignant que le président de l’Afitf se verra bientôt "imposer les différents scenarii du Comité d’orientation des infrastructures auxquels il n’aura pas contribué" et que l’agence devra "payer la note d’un menu qu’elle n’a pas choisi". En préambule, son collègue Loïc Prud’homme (LFI, Gironde) se faisait plus acerbe encore, dépeignant cette agence comme "une bizarrerie démocratique", "une boîte noire" et "une quasi coquille vide" – reprenant ici les conclusions de la Cour des comptes (voir notre article du 30 août 2016). "Vous avez présenté l’Afitf comme un relais efficace des orientations stratégiques du gouvernement. Effectivement, on ne peut pas faire plus proche comme relais puisque c’est directement le ministre des Transports qui est aux commandes", lance-t-il encore. Avant de conclure : "Le court passage de Jean Castex ne fait que renforcer ce sentiment de coquille vide", qui ne fait que "servir le jeu des chaises musicales et du pantouflage, en attendant de trouver mieux".
Conseil de surveillance
Il est vrai que la mariée, avec "sa présidence non exécutive et ses 5 salariés", n’est pas des plus attirantes. Elle serait même frappée de malédictions, à en croire son ancien président, Christophe Béchu (voir notre article du 27 mai 2021). Elle peine dans tous les cas à conserver ses prétendants. Le maire de Dunkerque sera ainsi le troisième président de l’agence en 18 mois, après la reconduction de Christophe Béchu en juin 2021, puis la nomination de Jean Castex en août dernier (voir notre article du 27 juillet). Patrice Vergriete s’est toutefois employé à vanter ses atours, sans pour autant sombrer dans la cécité. "L’agence est une structure capable de porter le temps long, qui permet une plus forte lisibilité des projets structurants", plaide-t-il. Il réfute l’idée qu’elle ne serait qu’une "caisse d’enregistrement", mettant en avant son pouvoir d’influence. "L’agence est plus proche d’un conseil de surveillance que d’un conseil d’administration" – il suggère au passage aux parlementaires "d’aller jusqu’au bout" de la démarche, en faisant "évoluer les statuts en ce sens". "Or, le conseil de surveillance d’un grand port maritime, celui d’un hôpital ont de l’influence", assure-t-il, fort de son expérience dans ces cénacles.
Une loi d’orientation plutôt que de programmation
À la tête de l’Afitf, il entend "renforcer la dimension partenariale de l’agence avec les parlementaires et les élus locaux, la question des mobilités dépendant aussi des collectivités". Il se dit convaincu que l’Afitf "aurait tout à gagner à renforcer cette dimension". Et ce, singulièrement dans la perspective "des six mois cruciaux" qui viennent, "qui vont définir l’ambition de notre pays quant à ses infrastructures de transport. Le Conseil d’orientation des infrastructures va rendre dans quelques jours théoriquement son rapport [il est attendu depuis novembre] à la Première ministre. Une séquence de larges débats va s’ouvrir jusqu’à l’actualisation de la LOM [loi d'orientation sur les mobilités], avec la définition d’une nouvelle trajectoire financière pour l’Afitf, le volet mobilités des contrats de plan État-région et le contrat d’objectif et de performance de l’Afitf", rappelle-t-il. Au passage, il se montre davantage favorable "à une loi d’orientation que de programmation, qui fait peur pour deux raisons : le calendrier, avec la crainte d’un glissement qui peut être très important alors qu’il y a urgence ; le peu de souplesse en termes de financements. Or aujourd’hui aucun financement ne doit être perdu sur les infrastructures de transport".
Injonctions contradictoires
Lors de ces "débats cruciaux" – et convaincu de "la nécessité de réconcilier les acteurs locaux avec l’État" – il entend "faciliter les échanges entre la représentation nationale et les élus locaux". Être un "médiateur entre une vision nationale et une perception, sur le terrain, d’injonctions contradictoires" – concept cher au président de l’Association des maires de France, David Lisnard (voir notre article du 15 septembre dernier) –, en mettant à profit "son expérience locale" : "Je veux aller sur le terrain au maximum et ramener la voix des territoires dans ce débat. Le grand enjeu devant nous aujourd’hui, c’est de mieux articuler l’État et les collectivités territoriales". Tout en veillant "à ne pas écarter les citoyens de ces débats".
On relèvera d’ailleurs que Patrice Vergriete n’aura pas toujours caressé son auditoire dans le sens du poil, précisément en dénonçant ces injonctions contradictoires "qui sont très fréquentes pour un maire" quand on prend en compte "l’ensemble des lois qui tombent sur les territoires". Des difficultés qui prendraient néanmoins surtout naissance "dans une réglementation qui dénature le projet", alors que "l’intention national / local était commune" – ce qui n’est pas sans rappeler le dossier du ZAN (voir notre article du 14 décembre). "Tous les 15 jours j’ai des injonctions contradictoires en termes d’application des lois. Je peux donner plein d’exemples où on est d’accord sur les intentions, mais confrontés à des difficultés réglementaires", renchérit-il. Pour lui, le sujet des zones à faibles émissions-mobilité (ZFE-m) en constitue un exemple caractéristique. "Si j’applique réglementairement les choses, cela ne correspond pas à l’intention initiale", explique-t-il, en précisant que dans sa collectivité, "si je n’intègre pas l’A16 [dans le périmètre de la zone], qui est un élément déterminant, les objectifs sont inatteignables".
Report modal…
Sur le fond, naturellement questionné sur l’équilibre entre la route, le rail et le fluvial, Patrice Vergriete relève que l’Afitf y "contribue beaucoup : l’essentiel de ses ressources viennent plutôt de la route et l’essentiel de ses dépenses, à 85/90%, vont dans des mobilités décarbonées". Si "l’enjeu de réussir le report modal est une évidence", et "la question du fret essentielle", il précise qu’il faut certes "continuer d’encourager le report modal longue distance, mais aussi celui des mobilités actives". Il fait valoir que " des efforts sont faits", en notant que "le budget a été multiplié par 5. On verra si c’est suffisant". Fort de son expérience dunkerquoise, il met en avant " l’arme du pouvoir d’achat comme levier de la transformation, plutôt que de moraliser ou de contraindre violemment pour changer les pratiques du quotidien". Et souligne l’importance de la "multimodalité", qu’il érige au rang de "révolution copernicienne" compte tenu de la difficulté de "convaincre les gens d’abandonner la voiture en cours de parcours".
… et maillage territorial
Si Patrice Vergriete est convaincu que "l’un des enjeux dans la lutte contre le dérèglement climatique réside dans le report modal", il attire également l’attention sur "le nécessaire maillage territorial" – la façon dont on articule les métropoles, les villes moyennes, les petites villes, la ruralité, ndlr –, que l’on n’a peut-être pas su repenser ces trente dernières années". Reprenant l’idée d’un "polycentrisme maillé promu par la Datar à la fin des années 1990" (ndlr : dans un rapport "Aménager la France de 2020" paru en 2000), il estime que ce maillage "doit être au cœur de nos réflexions". Et souligne que "les trains du quotidien sont des éléments structurants de ce maillage". Interrogé sur les RER métropolitains souhaités par le président Macron (voir notre article du 28 novembre), il plaide pour qu’ils ne soient pas conçus comme "un lien entre une métropole et sa banlieue, qui ne ferait qu’approfondir l’étalement urbain". Il estime que leur succès résidera "dans la façon dont on va réussir à mailler l’ensemble du territoire" de chaque métropole.
Également interrogé sur le phénomène croissant de suppression des trains, il juge que cette "situation de crise, grave, que connait la SNCF", tient d’abord "à un immense problème de ressources humaines, à un manque de conducteurs, de personnel de maintenance, de contrôleurs…" et que "le premier défi à relever est de redonner de l’attractivité à ces métiers". Le deuxième étant celui "des sillons", qui relève davantage de l’Afitf. Un domaine où Patrice Vergriete n’entend pas opposer les trains du quotidien aux lignes à grande vitesse, jugeant "logique que les habitants de Bordeaux ou du Sud-Ouest aspirent à bénéficier eux-aussi des mêmes infrastructures que celles déployées dans le reste de l’Hexagone".
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