Si les APL incitent les propriétaires à augmenter les loyers, la baisse de l'allocation devrait donc les inciter à les baisser... : c'est sur la base de ce raisonnement très cartésien - à défaut d'être pleinement partagé par les économistes - que le chef de l'Etat a demandé, le 5 septembre, aux bailleurs de "baisser de cinq euros le prix du logement" (voir notre article ci-dessous du 5 septembre 2017). S'exprimant devant les préfets réunis à l'Elysée, Emmanuel Macron a reconnu au passage que la baisse de cinq euros par mois de l'APL - qui "venait en application de ce qui avait été voté en début d'année et en application des lettres de cadrage" [du précédent gouvernement, ndlr] - ne constitue pas "la mesure la plus structurante et la plus structurelle".
Levée de boucliers généralisée
Néanmoins, dès lors que cette mesure est engagée, le chef de l'Etat en appelle à "la responsabilité collective" et se dit "surpris du silence collectif de ne pas appeler les bailleurs sociaux, les propriétaires, à baisser de cinq euros le prix du logement".
C'est peu dire que les réactions à cette demande ne vont pas dans le sens espéré. Les représentant des propriétaires et bailleurs privés - déjà échaudés par le projet d'impôt sur la fortune immobilière (IFI) destiné à remplacer l'ISF - ne se sont pas privés de réagir. L'Unpi (Union nationale de la propriété immobilière) dit ainsi avoir découvert "avec effarement et colère des déclarations du président de la République". Son président, Jean Perrin, dénonce l'absence de concertation et s'indigne que l'Etat "souhaite fixer les loyers à la place des propriétaires". L'Unpi rappelle au passage les résultats du dernier baromètre de l'observatoire Clameur. Présenté le même jour, il montre en effet une baisse moyenne des loyers de 0,6% en glissement annuel à la fin du mois d'août, avec toutefois des écarts importants selon les villes.
L'Union des syndicats de l'immobilier (Unis) s'appuie également sur ces résultats pour évoquer "une tendance générale à la baisse" des loyers et faire valoir qu'"il y a déjà un effort qui a été fait de la part des bailleurs". La Fnaim (Fédération nationale des agents immobiliers) s'étonne aussi, en termes plus modérés, de cette annonce "pas très adroite" et demande des états généraux du logement pour "avoir une vision plus globale, plus pragmatique et des solutions plus concertées"
Même du côté des locataires, l'association CLCV estime que "baisser de cinq euros les loyers ne constitue pas en soi une politique du logement"...
Baisser les loyers HLM ? "Economiquement insoutenable", répond l'USH
Emmanuel Macron est conscient que cette baisse "autoritaire" - peu probable - des loyers de cinq euros par mois ne résoudra pas la question. Devant les préfets, il a indiqué que "ce qu'il nous faut faire, c'est baisser durablement le prix du logement pour pouvoir faire des économies intelligentes". Il entend y parvenir "en ayant une politique volontariste, avec la sphère du logement social, et [en s'assurant] que, dans cet univers, on baisse les loyers de manière beaucoup plus déterminée". Le gouvernement entend donc "conduire les acteurs du logement social à baisser les prix, fertiliser davantage le mouvement, la création de logement, baisser les loyers, pour pouvoir, à due proportion, baisser les aides".
La réponse de l'USH (Union sociale pour l'habitat) n'a pas tardé. Sur un plan strictement économique, "une baisse globale des loyers des locataires HLM pour compenser la baisse éventuelle des APL serait économiquement insoutenable pour les organismes HLM" et ferait même "courir un risque systémique majeur à un secteur qui loge 11 millions de personnes et qui génère plus de 300.000 emplois directs".
Choix politique ou choix budgétaire ?
Et s'il faut trouver des sources d'économies budgétaires pour l'Etat, Jean-Louis Dumont invite le gouvernement à s' "interroger" sur "l'efficacité réelle de dispositifs de défiscalisation qui, aujourd'hui, coûtent cher à l'Etat sans contrepartie sociale". En ligne de mire : les "50.000 logements financés via le dispositif Pinel, sans servir l'intérêt général" qui seraient "l'équivalent de 30.000 logements très sociaux qui serviraient durablement une politique sociale du logement destiné aux plus modestes". Pour Jean-Louis Dumont, pas de doute : "C'est donc un choix politique (Ndlr : de réduire le montant des APL) avant d'être un choix budgétaire".
Du côté des associations de lutte contre le mal-logement, le collectif CAU* veut croire qu'il s'agit d'une "décision technocrate pilotée par Bercy" et qu'il peut encore convaincre le gouvernement qu' "on ne peut pas faire des coupes comme ça, avec des tableurs Excel !", selon l'expression de Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé-Pierre. Il n'en demeure pas moins que cette "politique à la petite semaine", "injuste" au sens où "elle fait reposer sur les plus fragiles notre incapacité à réguler le marché immobilier", les inquiète au plus haut point. Les associations demandent "le retrait immédiat" du projet de baisse des APL et même une revalorisation. Ils iront tout de même vendredi au ministère du logement poursuivre les réunions de préparation du plan quinquennal pour "le logement d'abord" (voir notre article du 28 juillet 2017). Mais on sent bien que la méfiance règne.
Idem sur l'idée d'Emmanuel Macron de provoquer un "choc de l'offre de logements dans les territoires tendus". "C'est une bonne orientation", estime Christophe Robert, mais il émet des doutes sur la capacité et/ou la volonté du gouvernement (le doute est toujours permis) à encourager la réalisation de logements aux loyers maîtrisés destinés aux personnes modestes et pauvres dans les agglomérations tendues.
Recours abusifs et fiscalité du foncier
Emmanuel Macron a été clair : il entend développer une politique de l'offre qui se substituerait progressivement à la politique de la demande alimentée par les aides personnelles au logement. La volonté de provoquer un "vrai choc d'offres" se concrétiserait dans le projet de loi Logement, qui doit être présenté au conseil des ministres du 13 septembre.
Jacques Mézard en donne justement les grands axes dans une longue interview au Figaro du 6 septembre. Il y précise certaines dispositions du futur projet de loi. Le ministre de la Cohésion des territoires - en charge du logement - y confirme notamment l'instauration d'une "pause significative des normes nouvelles en matière de construction, sauf s'il y a un impératif de sécurité". Le ministre n'évoque pas, en revanche, un allègement des normes actuelles. De même, il confirme la volonté du gouvernement de "sanctionner plus fortement les auteurs de recours abusifs" contre des permis de construire et d'accélérer les procédures judiciaires en la matière. Dans le même esprit de simplification, la dématérialisation des permis de construire devrait rendre leur instruction plus rapide.
Outre la question de l'impôt sur la fortune immobilière, les propriétaires ont également du souci à se faire du côté du foncier. Jacques Mézard estime en effet que "la fiscalité sur la vente de foncier n'est pas incitative pour la libération des terrains par les propriétaires privés". Le ministère travaille donc à sa modification dans les zones tendues. De son côté, l'Etat - et sans doute les opérateurs publics - devraient faire un effort sur les cessions de leurs terrains, mais en adaptant cet effort en fonction du projet qui doit y être développé.
Un PTZ maintenu, mais recentré
En revanche, le projet de loi ne devrait pas toucher à la loi SRU, du moins dans ses objectifs chiffrés, car elle "fixe aujourd'hui des obligations équilibrées en matière de logement social". Une position qui figurait déjà dans le programme d'Emmanuel Macron pour la présidentielle.
Même si le projet de loi devrait donner la priorité aux zones tendues, la politique du logement ne se limitera pas à ces dernières. Le ministre confirme ainsi un doublement du budget de l'Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine), qui passera de cinq à dix milliards d'euros (voir notre article ci-dessous du 6 juillet 2017), ainsi que le lancement, en 2018, d'un "plan pour revitaliser les villes moyennes, qu'il s'agisse des logements, des commerces, des transports...". Sans oublier d'autres mesures hors projet de loi, comme la construction de 60.000 logements pour les étudiants et 20.000 pour les jeunes actifs, qui accompagnera la mise en place du bail mobilité.
Sur le PTZ (prêt à taux zéro), la suppression du dispositif - un temps évoquée puisqu'il s'arrête officiellement le 31 décembre 2017 - semble aujourd'hui écartée, car ce "ne serait pas raisonnable". En revanche, le dispositif pourrait être "réorienté" et "recentré", pour le rendre "plus efficace. Les jours du PTZ en zone C semblent donc comptés.
Et pour les APL ?...
Enfin, sur la question de l'APL - à l'origine de la polémique et qui a accéléré l'élaboration du projet de loi -, Jacques Mézard ne se prononce pas sur les chiffres qui circulent sur les économies à réaliser - jusqu'à deux milliards d'euros, à comparer aux 150 millions que représente la baisse de 5 euros par mois -, mais se contente d'indiquer que "le système ne marche pas aujourd'hui, il faut le changement".
Selon le ministre, ces changements pourraient passer par une modification des conditions d'attribution et une simplification de la gestion, avec une prise en compte plus rapide des ressources des bénéficiaires. Ceci aurait aussi pour conséquence de réduire les indus, importants sur l'APL.
* Collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement des personnes sans abri et mal logés, 34 associations dont la Fédération des acteurs de la solidarité, fondation Abbé-Pierre, Ligue des Droits de l'homme, Soliha, Unafam, Unafo, Unhaj...
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