S'il fallait marquer de quelques dates clefs le grand chantier de la réforme territoriale, celle de ce mardi 19 janvier 2010 en ferait certainement partie, avec l'entrée en scène au Parlement du principal des quatre textes composant cette réforme voulue par le chef de l'Etat. Le Sénat s'empare en effet en séance publique du fameux "projet de loi de réforme des collectivités territoriales" présenté il y a trois mois en Conseil des ministres. Si pour l'heure, six jours de discussion sont programmés (jusqu'au 28 janvier), le président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, prévoit que le débat risque de s'étendre sur trois semaines, reprenant ensuite à l'Assemblée après les régionales de mars, pour une adoption définitive avant l'été.
L'examen de ce texte de quarante articles et des quelque 600 amendements déposés commence le jour même où l'Assemblée se penche à son tour sur le projet de loi écourtant les mandats des conseillers généraux et régionaux - afin qu'ils cèdent leur place aux conseillers territoriaux en 2014 - déjà adopté par le Sénat le 16 décembre (examen en procédure accélérée, donc une seule lecture par assemblée, afin qu'il puisse être adopté par le Parlement avant la fin du mois pour être appliqué dès les régionales). Le Parlement devra encore étudier, après mars, le projet de loi "relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale" ainsi que le projet de loi organique "relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale". Ces deux textes, dont le nœud principal sera certainement le mode d'élection des conseillers territoriaux, devraient être examinés ensemble "au printemps ou à l'été" 2010, selon Jean-Jacques Hyest. Pour quel mode de scrutin ? Si côté Elysée et gouvernement, on sait que les choses peuvent encore bouger, côté sénateurs aussi, rien n'est apparemment tranché : "Nous en discutons. On va trouver. On a encore du temps pour réfléchir, et pour voir si les systèmes proposés sont constitutionnels", indiquait la semaine dernière Jean-Jacques Hyest à la presse. Lequel reconnaît que sa commission n'a pas non plus "creusé" la question "très difficile" du nombre et de la répartition des conseillers territoriaux. Encore du pain sur la planche, donc… d'autant plus que l'on n'oubliera évidemment pas le cinquième – et dernier ? – projet de loi à venir, celui portant sur la répartition des compétences des collectivités, dont on ne connaît pas encore officiellement le contenu mais qui n'est attendu qu'en juillet 2011.
Une bataille "pied à pied"
"Ni le nombre de conseillers territoriaux, ni leur mode d'élection, ni leur circonscription électorale d'appartenance, ni les compétences des collectivités dont ils seront les élus ne sont connus à ce jour", résume de fait Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF). Même le sénateur de la Vienne, Jean-Pierre Raffarin, regrette cet empilement de textes pas forcément réalisé dans le bon ordre… "Je n'apprécie pas qu'on ait quatre textes comme ça échelonnés, pour une réforme qui ainsi manque de visibilité. Cela empêche un peu d'avoir une vision globale, on va discuter par exemple du conseiller territorial maintenant et de son mode d'élection et de ses compétences plus tard, tout cela va manquer de lisibilité. Cette réforme est une grande réforme, elle vaut la peine d'être menée et j'aurais préféré qu'on fasse tout ça en même temps : discuter des compétences, du mode électoral, de l'organisation territoriale", a déclaré dimanche sur France 5 l'ancien Premier ministre, qui soutient en revanche l'idée du conseiller territorial.
Quoi qu'il en soit, les débats qui commencent ce 19 janvier promettent d'être animés. Le président du groupe PS du Sénat, Jean-Pierre Bel, a fait savoir que les sénateurs PS allaient "se battre pied à pied sur chaque article et sur chaque amendement pour faire reculer le gouvernement", appelant dans un communiqué le Sénat à "un sursaut" pour "retrouver son rôle de défenseur des territoires" face "au projet d'attaque frontale des collectivités territoriales et de retour en arrière sur la décentralisation". Jean-Pierre Bel indique que son groupe insistera sur "les aspects les plus dangereux du texte comme le conseiller territorial ou la suppression de la clause de compétence générale pour les départements et les régions".
Intercommunalité : des reculs ?
Pour l'heure toutefois, les travaux de la commission des Lois se sont révélés plutôt prudents, ne remettant en question aucun des fondamentaux du projet, malgré les 151 amendements intégrés au texte, dont 128 de son rapporteur, Jean-Patrick Courtois. Ainsi, tout en reconnaissant qu'il s'agit bien de "l'une des mesures les plus controversées de la réforme", la commission a adopté la mise en place des conseillers territoriaux, y voyant "un moyen d'améliorer la coordination entre les départements et les régions, sans remettre en cause les spécificités de chacune de ces collectivités" et estimant qu'il s'agit d'un "signal positif lancé aux élus locaux" dans la mesure où les conseillers territoriaux "bénéficieront de missions plus étendues et de responsabilités plus larges que leurs prédécesseurs".
Les principales modifications adoptées par la commission concernent le volet intercommunal du projet, ainsi que les métropoles. Deux pans sur lesquels certains, à commencer par l'Assemblée des communautés de France (ADCF), relèvent plusieurs "reculs" (voir notre article du 14 janvier) principalement marqués par un souci de défense de la commune. Ainsi, s'agissant de la composition des conseils communautaires (article 3), la commission a entre autres adopté un amendement prévoyant que les communes membres d’un EPCI à fiscalité propre "pourraient, par accord des deux tiers des conseils municipaux représentant au moins les deux tiers de la population, fixer librement le nombre et la répartition des sièges au sein du conseil communautaire" (alors que le projet gouvernemental prévoyait par tableau des règles fixes de répartition). Ou bien encore, en matière de transferts de compétences des communes à l'EPCI (article 32), elle a réintroduit les conditions de majorité qualifiée actuellement en vigueur en lieu et place de la majorité simple prévue par le texte initial et a tenu à conserver le caractère facultatif du transfert des pouvoirs de police du maire au président de l’EPCI dans certains domaines (article 31).
Que reste-t-il aux métropoles ?
S'agissant cette fois des métropoles, le concept a certainement été affaibli par les travaux de la commission. Celle-ci a en effet rétabli l'autonomie fiscale des communes au sein de la métropole, a rendu facultatif le transfert de la dotation globale de fonctionnement (DGF) communale à cette même métropole, a prévu de permettre le maintien aux communes membres de la prise en charge des équipements de proximité en conservant la notion d’intérêt communautaire, a laissé aux maires des communes membres de la métropole leurs compétences en matière d’occupation et d’utilisation du sol... La métropole sera-t-elle du coup une simple "communauté urbaine améliorée", s'interroge par exemple Daniel Delavaux, le président de l'ADCF.
On notera par ailleurs que la commission des lois est intervenue sur les articles relatifs aux éventuels regroupements de départements et de régions "pour éviter qu'un département ou une région puisse être regroupé avec une collectivité de même niveau contre la volonté de son conseil général ou de son conseil régional et celle de sa population". Elle a, dans le même temps, prévu que "les conseils généraux et le conseil régional qui le souhaitent" pourront "solliciter du législateur, avec l’accord de la population, la création d’une collectivité se substituant à la région et aux départements qui le composent". Enfin, concernant le seul article dédié à la question des compétences, à savoir l'article 35 (qui fixe un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi pour qu'une nouvelle loi précise la répartition des compétences des régions et des départements, ainsi que les règles d'encadrement des cofinancements entre les collectivités territoriales), les sénateurs ont supprimé la référence à la "part significative du financement" devant être assurée par le maître d'ouvrage en cas de cofinancement d'un équipement.
Claire Mallet
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