En pleine négociation sur le Brexit, il est ironique de voir la volonté du Royaume-Uni de taxer les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon et autres) se concrétiser, alors que la même proposition portée par Bruxelles, elle, s’enlise. En effet, le chancelier de l’Échiquier, Philip Hammond, a dévoilé devant la chambre des communes, le 29 octobre, son intention de taxer les géants du numérique à hauteur de 2% de leur chiffre d’affaires, à partir de 2019. Quelques jours plus tard, le 6 novembre, les vingt-huit ministres de l’Économie européens se sont réunis pour examiner le projet de directive européenne présenté par la Commission le 21 mars 2018. Un projet défendu avec force par le ministre français Bruno Le Maire depuis des mois. Cette nouvelle taxe européenne serait provisoire et porterait sur 3% du chiffre d’affaires des entreprises du numérique et pourrait rapporter quelque 5 milliards d’euros. Seraient visées les entreprises réalisant au moins 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel au niveau mondial et 50 millions d’euros au sein de l’UE. Un seuil qui permettrait de ne pas entraver l'essor de champions européens. Comme le reconnaît la Commission, "il est tout à fait courant que des entreprises numériques soient imposées à des niveaux d'imposition proches de zéro dans les pays où elles détiennent une part de marché importante".
Échéance reportée à la fin 2020
Mais, alors que le texte aurait dû initialement entrer en vigueur en 2019, les Vingt-Huit ont convenu de reporter l’échéance pour la fin 2020. En effet, le ministre allemand Olaf Scholz ne souhaite pas se mettre à dos les États-Unis qui menacent de leur côté d’augmenter les tarifs douaniers sur les importations de véhicules. Il a fait savoir qu’il privilégiait la solution d’un accord au niveau international - et donc avec les États-Unis - avant l’été 2020, dans le cadre de la réflexion actuellement menée au sein du G20 et de l’OCDE. Officiellement, Paris reste confiant et espère un accord dans les prochaines semaines. Son objectif est de faire accepter à l’Allemagne l’automaticité d’une taxe européenne si aucun accord n’est trouvé à l’échelle internationale dans les dix-huit mois. La tâche semble cependant ardue, plusieurs pays - dont la Suède, l’Irlande et le Danemark -, restant hostiles à cette mesure qui nécessitera l’unanimité au conseil. Vu le rythme de progression d’Amazon en France (+ 22% en 2017, avec près de 20% de parts de marché du e-commerce en France), on comprend aisément l’inquiétude des acteurs du commerce physique.
L’idée d’une taxe sur le numérique est vivement souhaitée par le CDCF (Conseil du commerce de France) qui se plaint de distorsions de concurrence, les commerces physiques étant, de surcroît, assujettis à la fiscalité locale à travers notamment la taxation du foncier et la contribution économique territoriale. Et les plateformes numériques utilisent les équipements financés par les collectivités (routes, recyclage des déchets des colis…) sans y contribuer.
Au printemps, parallèlement aux travaux menés au niveau européen, le gouvernement avait confié à l'Inspection générale des finances le soin de proposer un cadre fiscal plus équitable entre les différentes formes de commerce, afin notamment d’accompagner le plan Action cœur de ville qui vise à redynamiser les centres-villes. Ses conclusions n’ont toujours pas été rendues publiques.
Les maires proposent une taxe à un euro
En attendant, l’Association des maires de France (AMF) a décidé de monter au créneau. Elle a en effet soutenu un amendement au projet de loi de finances pour 2019 visant à taxer à hauteur d’un euro chaque colis commandé en ligne et livré à domicile. La proposition émanant du maire de Cannes, David Lisnard, vice-président de l’AMF, et a été portée par le député LREM du Pas-de-Calais, Benoît Potterie. Mais la commission des finances l’a rejeté, le 7 novembre, suite à l’avis défavorable du rapporteur Joël Giraud (LREM, Hautes-Alpes). Au moins le débat a-t-il été ouvert. Le commerce physique "est soumis à plus de 85 taxes, contre 3 pour le commerce en ligne", argue Benoît Potterie qui n’entend pas baisser les bras : la proposition pourrait resurgir à l’occasion du chantier sur la fiscalité locale attendue en 2019. "Cette taxe serait collectée par l’e-commerçant et reversée à l’État, mais à destination exclusive des collectivités via un fonds de compensation à la baisse parallèle obligatoire de la fiscalité foncière sur les commerces de ville", explique l’AMF. L’argent ainsi récolté aurait abondé un "fonds de compensation pour une fiscalité commerciale locale équitable". Ce fonds aurait financé un abattement automatique de 10% sur la taxe foncière des petits commerces (inférieur à 400 m²) perçue au profit des communes et intercommunalités, soit environ 335 millions d’euros. L’AMF se défend de vouloir opposer les modes de consommation entre eux, mais rappelle que 505 millions de colis ont été livrés en 2017, sans que les entreprises concernées n’aient à contribuer à l’entretien des routes. Outre le rétablissement d’une équité fiscale entre les commerces, la mesure visait à lutter contre "l’effet Amazon" , à savoir l’impact écologique des livraisons à la charge des communes. "À San Francisco, le berceau d’Amazon, on a pu constater une hausse spectaculaire des déchets liés aux livraisons à domicile", explique-t-on dans l’entourage de Benoît Potterie.
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