Alors que l’Assemblée nationale a entamé, ce 10 octobre, l'examen du projet de loi de finances (PLF) 2023, le recours à l'article 49.3 de la Constitution, permettant au gouvernement d’engager sa responsabilité pour faire adopter un texte sans vote face à un blocage de l’opposition, ne laisse plus de place au doute. Sans majorité absolue, l’exécutif n’a guère d’alternative pour voir aboutir ce texte majeur, qui comprend notamment un "bouclier tarifaire" de 45 milliards d’euros pour faire face à la flambée des prix de l’énergie. La question est désormais de savoir à quel moment des discussions dans l’hémicycle la Première ministre décidera d'y recourir pour sortir de l’impasse. Car c’est bien Élisabeth Borne, après délibération du conseil des ministres, qui en maîtrise aussi le timing. Le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de juger "que l’exercice de cette prérogative par le Premier ministre n’est soumis à aucune condition autre que celles résultant de ce texte" (décision n°89-264 DC du 9 janvier 1990 confirmée par la décision n°2015-715 DC du 5 août 2015). Ainsi le gouvernement a toute latitude pour engager sa responsabilité sur le vote du budget, le couperet pouvant intervenir "à tout moment" lors de l’examen du texte par l’Assemblée, autrement dit à n’importe quel stade de la procédure législative.
L’exécutif a le choix du moment…
C’est avant tout une question d’ordre politique, tant le maniement de cette arme constitutionnelle accusée de museler le débat démocratique est sujet à la critique. Il est donc envisageable que le gouvernement laisse une chance au dialogue, avant de "dégainer" le 49.3 quand les blocages commenceront à apparaître, sous couvert de l’impératif d’efficacité institutionnelle. Tout un jeu d’équilibre à trouver… Entre une utilisation d’emblée, c’est-à-dire dès les premiers jours de l’examen du texte en séance publique, et une activation en conclusion des débats, les options de calendrier sont nombreuses. Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’exécutif puisse y avoir recours à plusieurs reprises, à chaque étape de l’examen du projet de loi de finances, et ce pour la partie recettes mais aussi pour la partie dépenses.
L’encadrement de la fréquence d’utilisation du 49.3 par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 - un seul texte au cours d’une même session parlementaire -, ne concerne pas les textes financiers, à savoir les projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. En outre, la procédure peut être utilisée pour des lectures successives, c’est-à-dire sur le même texte et pour chaque lecture (première lecture, nouvelle lecture, lecture définitive). Cette année, la première partie du budget consacrée aux recettes sera examinée du 10 au 19 octobre en première lecture, avant un vote solennel prévu théoriquement le 25 octobre. Si des compromis étaient trouvés, notamment avec les députés LR, l'Assemblée pourrait aller au bout de l'examen des plus de 3.000 amendements déposés sur la partie recettes, dans le temps imparti. Et in fine le gouvernement engagerait sa responsabilité pour faire passer cette première partie sans vote, avant un autre 49.3 sur la seconde partie dédiées aux dépenses fin octobre-début novembre. L’hypothèse évoquée par l’AFP dans la palette des scénarios "hypothétiques" sur lequel l’exécutif a travaillé est toutefois peu probable.
… et peut faire son marché dans les amendements
Là encore, tout est possible. Il est est parfaitement loisible au gouvernement d’engager la procédure du 49.3 sur le texte en cours de discussion complété par tout amendement que l’exécutif souhaite y adjoindre. Il n’y a d’ailleurs pas non plus d’exigence d’examen préalable en commission des amendements retenus par le gouvernement pour établir le texte qui sera considéré comme voté à défaut d’adoption d’une motion de censure (décision du Conseil constitutionnel n° 2015-715 DC du 5 août 2015). Le 49.3 "arrête le cours des débats" mais permet de ne pas s'en tenir qu'à "la copie du gouvernement" ont aussi souligné la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et la cheffe de file des députés Renaissance, Aurore Bergé, rapporte l'AFP. Cette dernière a fait savoir sur les chaînes parlementaires, à l'ouverture de l'examen du projet de loi de finances, ce 10 octobre, que des amendements de l’opposition pourraient être conservés à l’issue d’un 49.3 "à condition qu’ils ne franchissent pas les lignes rouges fixées par la majorité". "Ces apports ne devront pas dégrader davantage le déficit public au-delà de 5% du PIB, ni accroître l’imposition des ménages ou des entreprises", a-t-elle précisé. La députée des Yvelines n’a pas davantage exclu que certains amendements qui n’auraient pas pu être examinés, viennent eux aussi enrichir le texte adopté sans vote.
Une motion de censure dont le sort est jeté
Les députés de l’opposition ne manqueront pas de répliquer par des motions de censure (dites motions de censures "provoquées"). Le texte sur lequel le gouvernement engage le 49.3 est considéré comme adopté, sans être soumis au vote, sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures qui suivent. Celle-ci requiert la signature d’un dixième des membres de l’Assemblée. Sachant que les députés ne sont pas bridés et peuvent en signer autant qu’ils le veulent dans le cadre de l’article 49.3. Le dépôt d’une motion de censure ouvre un délai de quarante-huit heures durant lequel elle ne peut pas être mise aux voix, empêchant ainsi les votes trop émotionnels. Sa discussion intervient dans l’un des trois jours de séance qui suivent. Pour être adoptée, la motion doit être votée par la majorité absolue des membres composant l’Assemblée (soit 289 députés). Le texte est alors rejeté et le gouvernement renversé. La motion de censure n’a toutefois quasiment aucune chance d’aboutir. Toutes les précédentes utilisations du 49.3 (87 fois depuis 1958) ont d’ailleurs abouti à l’adoption du texte.
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